Le texte complet est ci-dessous, ou en pdf ici.
Nous vous tiendrons informé ici de la suite qui a été donnée à ce courrier.
APEDAHN
43,
quai du Havre
76000
Rouen
email : apedahn@free.fr
Rouen,
le 10 avril 2019
Objet :
Lettre ouverte :
Développement
du Pôle d’Enseignement pour Jeunes Sourds (PEJS) dans l’Académie
de Rouen de
la maternelle au lycée.
Destinataires :
Monsieur
Jean-Michel BLANQUER, Ministre de l’Éducation Nationale,
Madame
Isabelle BRYON, Déléguée Ministérielle à l’inclusion scolaire,
Madame
Sophie CLUZEL, Secrétaire d’État chargée des personnes
handicapées,
Madame
Céline POULET, Secrétaire
générale du Comité Interministériel du Handicap,
Madame
Dominique GILLOT, Présidente
du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées,
Monsieur
Denis ROLLAND, Recteur de l’Académie
de Rouen,
M.
Lawrence REED, Inspecteur
responsable du PEJS,
M.
Jean François BUTEL, Inspecteur ASH,
Mme
Giliane RONDEAU, Inspectrice
ASH,
M.
Laurent MAIRE, Inspecteur ASH,
M.
Gilles BEAUFILS, Inspecteur ASH.
Copies :
M.
Sébastien LECORNU, Ministre
auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des
relations avec les collectivités territoriales, chargé des
collectivités territoriales,
M.
Fréderic SANCHEZ, Président
de la Métropole de Rouen,
M.
Pascal MARTIN, Président
du conseil départemental
de
la Seine Maritime,
M.
Pascal LEHONGRE, Président
du conseil départemental
de l’Eure,
Madame
Clothilde HARITCHABALET, Directrice de l’E.P.A. Helen Keller,
Monsieur
Yves HEULIN, Président
de l’association La Ronce,
Monsieur
Eric RECTENWALD, Directeur
général de l’association La Ronce,
Monsieur
Wilfrid DELOZIER, Directeur
du C.R.A. Joachim Du Bellay,
Monsieur
Eric GOUNEL, Directeur
général de l’I.D.E.F.H.I.,
Madame
Ève MELIN, Directrice
du Centre François Truffaut,
Monsieur
Didier DETALMINIL, Président
des PEP 76,
Monsieur
Jean Marc RIMBERT, Directeur
général des PEP 76,
Madame
Séverine GOUARD, Directrice
du Centre Beethoven.
Monsieur
Michel MIKLARZ, Président de la Coordination Handicap Normandie
Mesdames,
Messieurs,
Nous
vous faisons part de notre désir en tant que parents d’enfants
sourds et malentendants de voir se développer le Pôle
d’Enseignement pour Jeunes Sourds (PEJS) de la région rouennaise.
Il existe déjà deux établissements labellisés
PEJS dans la région en question : le collège Jean Lecanuet et
le lycée Marcel Sembat.
Deux
établissements qui existaient déjà du temps du Pôle pour
l’Accompagnement à la Scolarisation des jeunes Sourds (PASS). Si
nous nous réjouissons forcément de leur existence, nous estimons
que cela n’est pas suffisant et déplorons que les enfants sourds
âgés de 3 à 11 ans ne soient pas concernés par le PEJS.
Comment
peut-on estimer favoriser efficacement l’instruction scolaire des
enfants sourds lorsque le dispositif PEJS n’intervient que dans la
deuxième moitié de leur cursus scolaire ? Pourquoi tant
d’années de perdues en amont de l’entrée au collège, moment où
le triste constat est fait que les enfants sourds et malentendants
ont accumulé du retard : un retard qui les handicapera pour la
suite de leur scolarité et qui leur fermera inévitablement de
nombreuses portes à l’âge adulte.
Certes,
il existe des structures où sont pris en charge nos enfants au sein
des services tels que le Centre Beethoven de Rouen (CAMSP, CRA,
SESSAD), l’EPAHK du Havre (CAMSP, SSEFIS, CROP), l’association La
Ronce d’Évreux (CRA) ou encore l’IDEFHI de Canteleu (Centre
François Truffaut). Mais cela reste des établissements et services
médico-sociaux (ESMS)
qui
n’ont pas pour vocation première l’enseignement, malgré la
présence d’enseignants spécialisés, mais l’accueil et
l’accompagnement des enfants en situation de handicap.
Par
conséquent, l’instruction scolaire de nos enfants n’y est donc
pas la priorité. Il suffit simplement de constater qu’en
comptabilisant le temps monopolisé par les différentes prises en
charge dont bénéficient nos enfants (sans oublier les possibles
transports entre les lieux de prises en charge - qui ne sont pas
forcément proposés dans l’établissement même - et la classe),
nous sommes loin, très loin des 24 heures d’enseignement par
semaine. Dans le cas où un enfant ne bénéficierait « que »
de 18 heures par semaine d’enseignement pur, cela ferait 216 heures
de perdues sur toute une année scolaire. Un « sacré trou »
annuel qui peut se transformer en gouffre béant sur toute une
scolarité ! En somme, cela revient à ajouter un handicap à
nos enfants qui en ont déjà un !
Un
constat partagé par certains enseignants spécialisés de
l’Éducation Nationale pour qui cette organisation propre aux ESMS
engendre inévitablement des perturbations dans la gestion de la
classe : interruption de séances, décalage entre les élèves
dans les apprentissages, temps de réinstallation dans la classe.
Dans ces conditions, les temps impartis à l'enseignement de chaque
discipline doivent être aménagés et par conséquent l'ensemble des
programmes de l’éducation nationale ne peut être suivi par les
enseignants. Nous souhaitons que les prises en charge soient
assimilées aux Activités Pédagogiques Complémentaires (APC)
donc proposées en supplément aux 24 heures d’enseignement
obligatoires soit sur la pause méridienne ou en substitution de
certaines matières comme le sport ou l’anglais. Cela pour que nos
enfants puissent bénéficier d’un apprentissage complet comme tous
les autres enfants avec 24 heures d’enseignement hebdomadaire afin
qu’ils
puissent apprendre et communiquer dans leur langue principale et
bénéficier d’une scolarisation complète de la maternelle
jusqu’au lycée (au minimum).
La
prise en charge médico-sociale (orthophonie, psychomotricité, suivi
psychologique etc.) est certes nécessaire mais elle ne doit pas se
faire au détriment de l’enseignement et laisser se créer un fossé
entre ce qu’ils apprennent actuellement en maternelle et primaire
sans dispositif PEJS, et ce que tout élève devrait pouvoir
maîtriser en terme de connaissances et de compétences à l’entrée
au
collège.
Or
nous avons constaté à travers nos situations personnelles que ça
n’est pas toujours le cas : faute de moyens, certains de nos
enfants en maternelle n’ont pas pu être accueilli au CRA et ont
été obligés de suivre une année en inclusion, sans accompagnement
spécifique, totalement isolés. Ces situations sont inacceptables.
La
circulaire n°2017-011 du 3-2-2017 au paragraphe 3.1 « La
scolarisation individuelle en classe ordinaire, sans l'appui d'un
dispositif collectif » : souligne par ailleurs
l’incohérence de cette situation : « Il
est utile de signaler que pour les élèves signants, une scolarité
individuelle, sans pair avec qui échanger en LSF, peut constituer un
facteur d'isolement et d'appauvrissement de la langue. »
En
tant que parents d’enfants sourds et malentendants, nous sommes
bien trop souvent confrontés à l’argument selon
lequel
l’école
maternelle est une période facile, que leur déficit de langage ne
sera pas handicapant pour l’apprentissage de la socialisation en
milieu ordinaire. Malheureusement, nous constatons régulièrement
les difficultés de nos enfants qui ont du mal à se sociabiliser en
l’absence de pairs sourds. Leurs
années de maternelle en compagnie d’élèves entendants et de
professionnels non sensibilisés à la surdité se font parfois dans
la douleur.
Comme
le démontre le programme de l’Éducation Nationale, le langage est
le premier des cinq domaines d’apprentissage à l’école
maternelle (« La
place primordiale du langage
à l’école maternelle est réaffirmée comme condition essentielle
de la réussite de toutes et de tous. La stimulation et la
structuration du langage oral d’une part, l’entrée progressive
dans la culture de l’écrit d’autre part, constituent des
priorités de l’école maternelle
et concernent l’ensemble des domaines d’apprentissage. »).
Comment développer l’apprentissage si le langage est absent alors
que c’est censé être l’une des priorités ? C’est pour
cela que nous souhaitons que le PEJS soit mis en place dès la
maternelle.
Le
parcours de scolarisation des enfants sourds et malentendants doit
être clair et limpide avec un accompagnement qui dure tout le long
du cursus scolaire au sein d’un pôle qui coordonne les
enseignements et les accompagnements, évalués et adaptés en
fonction des projets personnalisés et individualisés de chaque
enfant. Permettre à nos enfants, à la fois de se rencontrer entre
pairs, mais aussi de s’insérer dans le monde entendant, de voguer
d’un monde à l’autre, d’une culture à l’autre sans leur
demander de choisir : choisir d’appartenir à la communauté
sourde ou entendante, choisir de signer ou d’oraliser. Quel enfant
est capable de choisir qui il voudra être « quand il sera
grand » à trois ans ?
C’est
pour cette raison que nous souhaitons pour nos enfants et les enfants
à venir une véritable filière bilingue LSF/français écrit mais
aussi langue française orale avec appui de la LfPC pour « rendre
effectif le libre choix de communication »
(point 3.4 de la circulaire) et permettre aux enfants sourds de
pouvoir rencontrer leurs pairs qui seraient situés dans le même
établissement. Ce qui n’est pas le cas dans la région
rouennaise : les enfants accompagnés par le SESSAD sont
inscrits dans l’établissement scolaire de quartier et ceux
accueillis par le CRA sont
dispatchés
dans plusieurs écoles différentes et parfois même isolés dans ces
écoles.
Les
retours que nous avons des professionnels ou des parents d’enfants
scolarisés au collège Jean Lecanuet ou au Lycée Marcel Sembat sont
particulièrement inquiétants et même troublants. Il est question
de très grandes difficultés scolaires pour les enfants provenant du
Centre de Rééducation Auditive (CRA). Soit le niveau de français
écrit requis n’est pas suffisant, soit le niveau de LSF est
insuffisant, si ce n’est les deux en même temps. Rappelons qu’il
est inscrit sur le point 3.4 de la circulaire : « L'école
primaire doit permettre aux élèves signants d'avoir à la fin de la
classe de CM2, un niveau de maîtrise suffisant de la langue des
signes française et du français écrit afin de pouvoir poursuivre
au mieux les apprentissages dans le cadre d'un parcours linguistique
choisi au collège puis au lycée. »
Si
les établissements et services médico-sociaux ne sont pas aptes ou
n’ont pas les moyens suffisants pour remplir cette tâche d’amener
nos enfants à avoir un niveau scolaire satisfaisant à l’amorce du
second degré, nous estimons que c’est le rôle de l’Éducation
Nationale « de
permettre un accès optimal aux savoirs mais surtout de lui garantir
un parcours d'insertion sociale et professionnelle »
(préambule de la circulaire).
La
loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances,
la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ainsi
qu'un décret d’application relatif à l’éducation et au
parcours scolaire des jeunes sourds paru en mai 2006 rappellent la
liberté de choix des parents dans le mode de communication pour leur
enfant. Or, à ce jour, aucune structure n'existe dans notre région
pour proposer un parcours bilingue aux enfants d'âge maternel et
élémentaire dont les familles auront effectivement fait ce choix.
Depuis
la loi susmentionnée, un effort national a été fait pour faciliter
l’inclusion de nos enfants en milieu ordinaire. Sauf que la
circulaire n°2017-011 du 3-2-2017 rappelle bien que cela peut être
un « facteur
d’isolement et d’appauvrissement de la langue ».
C’est pourquoi nous ne souhaitons pas parler d’inclusion mais de
mixité en faisant en sorte que les enfants entendants puissent
communiquer avec leurs camarades sourds et inversement. Cela en
proposant des cours de Langue des Signes Française à
tous les enfants en tant que langue secondaire.
Nos
revendications en bref :
-
L’extension du Pôle d’Enseignement pour Jeunes Sourds (PEJS) à la maternelle et à l’élémentaire, avec deux filières complète, une en Langue des Signes Française (LSF) / français écrit et une en langue française orale avec l’appui de la Langue française Parlée Complétée (LfPC)
-
Un regroupement des enfants sourds dont les familles le souhaitent dans un établissement unique de la maternelle au CM2
-
Une instruction scolaire mise au premier plan pour la réussite de nos enfants
-
Que tous les enfants sourds intégrant le parcours bilingue LSF/français écrit bénéficient d’un enseignement de LSF effectué par une personne qualifiée, et que les autres enfants bénéficient d’une initiation à la LSF.
-
Avoir des classes contingentées, accueillant pour moitié des enfants sourds et des enfants entendants, avec un effectif maximal de 15 (sur le modèle des CP/CE1 dédoublées).
-
Que tous les professionnels travaillant au sein du PEJS maîtrisent la Langue des Signes Française et /ou le code LPC, ou que des formations adéquates leur soient proposées dès le début de l’année, avec un financement associé, et qu’une fois formées, ces personnes voient leur poste au PEJS pérennisé.
-
Que toutes les classes soient équipées de boucles magnétiques et autres aides techniques existantes.
-
Que nous soyons associés dans les étapes de cadrage du déploiement de ce futur PEJS.
Nous
aimons à croire que vous entendrez nos revendications et saurez
faire évoluer les mentalités en ouvrant les regards sur la surdité
et sa culture. Nous espérons vivement que l’académie rouennaise
rejoigne les académies pionnières telles que Lyon, Poitiers ou
Toulouse qui sont les seules dans toute la France à proposer un
parcours bilingue LSF / français de la maternelle au lycée. Nous
avons pu faire le constat que dans les trois académies en question
le parcours scolaire des enfants sourds est couronné de succès avec
notamment un taux de réussite au baccalauréat proche de la moyenne
nationale.
Nous
souhaitons que nos enfants puissent bénéficier de ce même
couronnement au sein de notre académie. Pour cela il faut qu’ils
puissent profiter d’un parcours adapté et cohérent tout au long
de leur scolarité, chose à laquelle ils n’ont pas accès à
l’heure actuelle dans la région rouennaise. Que l’académie de
Rouen devienne la première académie à proposer un vrai choix entre
filière en LSF et filière en français oral avec LfPC.
Nous
vous remercions de l’intérêt que vous porterez à nos
revendications, et vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs,
l’expression de nos sentiments les meilleurs.
APEDAHN
- Association de Parents d’Enfants Déficients
Auditifs de Haute Normandie
43,
quai du Havre - 76000 Rouen
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire