lundi 15 avril 2019

Lettre ouverte: Pour un PEJS de la maternelle au lycée dans l’agglomération rouennaise

Suite à la réunion du 9 mars, nous avons collectivement rédigé la lettre ouverte au sujet de notre demande de création d 'un PEJS complet. Ce courrier, que nous publions ici, a été adressé par la poste le 10 avril 2019 à M. le Ministre de l'Education nationale, mais aussi aux responsables des collectivités territoriales ainsi qu'au recteur de l'académie de Rouen et aux principaux inspecteurs concernés.

Le texte complet est ci-dessous, ou en pdf ici.
Nous vous tiendrons informé ici de la suite qui a été donnée à ce courrier.


APEDAHN
43, quai du Havre
76000 Rouen
email : apedahn@free.fr


Rouen, le 10 avril 2019

Objet : Lettre ouverte : Développement du Pôle d’Enseignement pour Jeunes Sourds (PEJS) dans l’Académie de Rouen de la maternelle au lycée.

Destinataires :

Monsieur Jean-Michel BLANQUER, Ministre de l’Éducation Nationale,
Madame Isabelle BRYON, Déléguée Ministérielle à l’inclusion scolaire,
Madame Sophie CLUZEL, Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées,
Madame Céline POULET, Secrétaire générale du Comité Interministériel du Handicap,
Madame Dominique GILLOT, Présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées,
Monsieur Denis ROLLAND, Recteur de l’Académie de Rouen,
M. Lawrence REED, Inspecteur responsable du PEJS,
M. Jean François BUTEL, Inspecteur ASH,
Mme Giliane RONDEAU, Inspectrice ASH,
M. Laurent MAIRE, Inspecteur ASH,
M. Gilles BEAUFILS, Inspecteur ASH.

Copies :

M. Sébastien LECORNU, Ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales,
M. Fréderic SANCHEZ, Président de la Métropole de Rouen,
M. Pascal MARTIN, Président du conseil départemental de la Seine Maritime,
M. Pascal LEHONGRE, Président du conseil départemental de l’Eure,
Madame Clothilde HARITCHABALET, Directrice de l’E.P.A. Helen Keller,
Monsieur Yves HEULIN, Président de l’association La Ronce,
Monsieur Eric RECTENWALD, Directeur général de l’association La Ronce,
Monsieur Wilfrid DELOZIER, Directeur du C.R.A. Joachim Du Bellay,
Monsieur Eric GOUNEL, Directeur général de l’I.D.E.F.H.I.,
Madame Ève MELIN, Directrice du Centre François Truffaut,
Monsieur Didier DETALMINIL, Président des PEP 76,
Monsieur Jean Marc RIMBERT, Directeur général des PEP 76,
Madame Séverine GOUARD, Directrice du Centre Beethoven.
Monsieur Michel MIKLARZ, Président de la Coordination Handicap Normandie



Mesdames, Messieurs,

Nous vous faisons part de notre désir en tant que parents d’enfants sourds et malentendants de voir se développer le Pôle d’Enseignement pour Jeunes Sourds (PEJS) de la région rouennaise. Il existe déjà deux établissements labellisés PEJS dans la région en question : le collège Jean Lecanuet et le lycée Marcel Sembat.
Deux établissements qui existaient déjà du temps du Pôle pour l’Accompagnement à la Scolarisation des jeunes Sourds (PASS). Si nous nous réjouissons forcément de leur existence, nous estimons que cela n’est pas suffisant et déplorons que les enfants sourds âgés de 3 à 11 ans ne soient pas concernés par le PEJS.

Comment peut-on estimer favoriser efficacement l’instruction scolaire des enfants sourds lorsque le dispositif PEJS n’intervient que dans la deuxième moitié de leur cursus scolaire ? Pourquoi tant d’années de perdues en amont de l’entrée au collège, moment où le triste constat est fait que les enfants sourds et malentendants ont accumulé du retard : un retard qui les handicapera pour la suite de leur scolarité et qui leur fermera inévitablement de nombreuses portes à l’âge adulte.


Certes, il existe des structures où sont pris en charge nos enfants au sein des services tels que le Centre Beethoven de Rouen (CAMSP, CRA, SESSAD), l’EPAHK du Havre (CAMSP, SSEFIS, CROP), l’association La Ronce d’Évreux (CRA) ou encore l’IDEFHI de Canteleu (Centre François Truffaut). Mais cela reste des établissements et services médico-sociaux (ESMS) qui n’ont pas pour vocation première l’enseignement, malgré la présence d’enseignants spécialisés, mais l’accueil et l’accompagnement des enfants en situation de handicap.

Par conséquent, l’instruction scolaire de nos enfants n’y est donc pas la priorité. Il suffit simplement de constater qu’en comptabilisant le temps monopolisé par les différentes prises en charge dont bénéficient nos enfants (sans oublier les possibles transports entre les lieux de prises en charge - qui ne sont pas forcément proposés dans l’établissement même - et la classe), nous sommes loin, très loin des 24 heures d’enseignement par semaine. Dans le cas où un enfant ne bénéficierait « que » de 18 heures par semaine d’enseignement pur, cela ferait 216 heures de perdues sur toute une année scolaire. Un « sacré trou » annuel qui peut se transformer en gouffre béant sur toute une scolarité ! En somme, cela revient à ajouter un handicap à nos enfants qui en ont déjà un !

Un constat partagé par certains enseignants spécialisés de l’Éducation Nationale pour qui cette organisation propre aux ESMS engendre inévitablement des perturbations dans la gestion de la classe : interruption de séances, décalage entre les élèves dans les apprentissages, temps de réinstallation dans la classe. Dans ces conditions, les temps impartis à l'enseignement de chaque discipline doivent être aménagés et par conséquent l'ensemble des programmes de l’éducation nationale ne peut être suivi par les enseignants. Nous souhaitons que les prises en charge soient assimilées aux Activités Pédagogiques Complémentaires (APC) donc proposées en supplément aux 24 heures d’enseignement obligatoires soit sur la pause méridienne ou en substitution de certaines matières comme le sport ou l’anglais. Cela pour que nos enfants puissent bénéficier d’un apprentissage complet comme tous les autres enfants avec 24 heures d’enseignement hebdomadaire afin qu’ils puissent apprendre et communiquer dans leur langue principale et bénéficier d’une scolarisation complète de la maternelle jusqu’au lycée (au minimum).

La prise en charge médico-sociale (orthophonie, psychomotricité, suivi psychologique etc.) est certes nécessaire mais elle ne doit pas se faire au détriment de l’enseignement et laisser se créer un fossé entre ce qu’ils apprennent actuellement en maternelle et primaire sans dispositif PEJS, et ce que tout élève devrait pouvoir maîtriser en terme de connaissances et de compétences à l’entrée au collège.

Or nous avons constaté à travers nos situations personnelles que ça n’est pas toujours le cas : faute de moyens, certains de nos enfants en maternelle n’ont pas pu être accueilli au CRA et ont été obligés de suivre une année en inclusion, sans accompagnement spécifique, totalement isolés. Ces situations sont inacceptables.

La circulaire n°2017-011 du 3-2-2017 au paragraphe 3.1 « La scolarisation individuelle en classe ordinaire, sans l'appui d'un dispositif collectif » : souligne par ailleurs l’incohérence de cette situation : « Il est utile de signaler que pour les élèves signants, une scolarité individuelle, sans pair avec qui échanger en LSF, peut constituer un facteur d'isolement et d'appauvrissement de la langue. »

En tant que parents d’enfants sourds et malentendants, nous sommes bien trop souvent confrontés à l’argument selon lequel l’école maternelle est une période facile, que leur déficit de langage ne sera pas handicapant pour l’apprentissage de la socialisation en milieu ordinaire. Malheureusement, nous constatons régulièrement les difficultés de nos enfants qui ont du mal à se sociabiliser en l’absence de pairs sourds. Leurs années de maternelle en compagnie d’élèves entendants et de professionnels non sensibilisés à la surdité se font parfois dans la douleur.

Comme le démontre le programme de l’Éducation Nationale, le langage est le premier des cinq domaines d’apprentissage à l’école maternelle (« La place primordiale du langage à l’école maternelle est réaffirmée comme condition essentielle de la réussite de toutes et de tous. La stimulation et la structuration du langage oral d’une part, l’entrée progressive dans la culture de l’écrit d’autre part, constituent des priorités de l’école maternelle et concernent l’ensemble des domaines d’apprentissage. »). Comment développer l’apprentissage si le langage est absent alors que c’est censé être l’une des priorités ? C’est pour cela que nous souhaitons que le PEJS soit mis en place dès la maternelle.

Le parcours de scolarisation des enfants sourds et malentendants doit être clair et limpide avec un accompagnement qui dure tout le long du cursus scolaire au sein d’un pôle qui coordonne les enseignements et les accompagnements, évalués et adaptés en fonction des projets personnalisés et individualisés de chaque enfant. Permettre à nos enfants, à la fois de se rencontrer entre pairs, mais aussi de s’insérer dans le monde entendant, de voguer d’un monde à l’autre, d’une culture à l’autre sans leur demander de choisir : choisir d’appartenir à la communauté sourde ou entendante, choisir de signer ou d’oraliser. Quel enfant est capable de choisir qui il voudra être « quand il sera grand » à trois ans ?

C’est pour cette raison que nous souhaitons pour nos enfants et les enfants à venir une véritable filière bilingue LSF/français écrit mais aussi langue française orale avec appui de la LfPC pour « rendre effectif le libre choix de communication » (point 3.4 de la circulaire) et permettre aux enfants sourds de pouvoir rencontrer leurs pairs qui seraient situés dans le même établissement. Ce qui n’est pas le cas dans la région rouennaise : les enfants accompagnés par le SESSAD sont inscrits dans l’établissement scolaire de quartier et ceux accueillis par le CRA sont dispatchés dans plusieurs écoles différentes et parfois même isolés dans ces écoles.

Les retours que nous avons des professionnels ou des parents d’enfants scolarisés au collège Jean Lecanuet ou au Lycée Marcel Sembat sont particulièrement inquiétants et même troublants. Il est question de très grandes difficultés scolaires pour les enfants provenant du Centre de Rééducation Auditive (CRA). Soit le niveau de français écrit requis n’est pas suffisant, soit le niveau de LSF est insuffisant, si ce n’est les deux en même temps. Rappelons qu’il est inscrit sur le point 3.4 de la circulaire : « L'école primaire doit permettre aux élèves signants d'avoir à la fin de la classe de CM2, un niveau de maîtrise suffisant de la langue des signes française et du français écrit afin de pouvoir poursuivre au mieux les apprentissages dans le cadre d'un parcours linguistique choisi au collège puis au lycée. »

Si les établissements et services médico-sociaux ne sont pas aptes ou n’ont pas les moyens suffisants pour remplir cette tâche d’amener nos enfants à avoir un niveau scolaire satisfaisant à l’amorce du second degré, nous estimons que c’est le rôle de l’Éducation Nationale « de permettre un accès optimal aux savoirs mais surtout de lui garantir un parcours d'insertion sociale et professionnelle » (préambule de la circulaire).

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ainsi qu'un décret d’application relatif à l’éducation et au parcours scolaire des jeunes sourds paru en mai 2006 rappellent la liberté de choix des parents dans le mode de communication pour leur enfant. Or, à ce jour, aucune structure n'existe dans notre région pour proposer un parcours bilingue aux enfants d'âge maternel et élémentaire dont les familles auront effectivement fait ce choix.

Depuis la loi susmentionnée, un effort national a été fait pour faciliter l’inclusion de nos enfants en milieu ordinaire. Sauf que la circulaire n°2017-011 du 3-2-2017 rappelle bien que cela peut être un « facteur d’isolement et d’appauvrissement de la langue ». C’est pourquoi nous ne souhaitons pas parler d’inclusion mais de mixité en faisant en sorte que les enfants entendants puissent communiquer avec leurs camarades sourds et inversement. Cela en proposant des cours de Langue des Signes Française à tous les enfants en tant que langue secondaire.


Nos revendications en bref :

  1. L’extension du Pôle d’Enseignement pour Jeunes Sourds (PEJS) à la maternelle et à l’élémentaire, avec deux filières complète, une en Langue des Signes Française (LSF) / français écrit et une en langue française orale avec l’appui de la Langue française Parlée Complétée (LfPC)
  2. Un regroupement des enfants sourds dont les familles le souhaitent dans un établissement unique de la maternelle au CM2
  3. Une instruction scolaire mise au premier plan pour la réussite de nos enfants
  4. Que tous les enfants sourds intégrant le parcours bilingue LSF/français écrit bénéficient d’un enseignement de LSF effectué par une personne qualifiée, et que les autres enfants bénéficient d’une initiation à la LSF.
  5. Une véritable mixité où enfants sourds et enfants entendants pourraient suivre la même scolarité en harmonie, et offrir la possibilité aux enfants entendants de parents sourds d’intégrer le PEJS.
  6. Avoir des classes contingentées, accueillant pour moitié des enfants sourds et des enfants entendants, avec un effectif maximal de 15 (sur le modèle des CP/CE1 dédoublées).
  7. Que tous les professionnels travaillant au sein du PEJS maîtrisent la Langue des Signes Française et /ou le code LPC, ou que des formations adéquates leur soient proposées dès le début de l’année, avec un financement associé, et qu’une fois formées, ces personnes voient leur poste au PEJS pérennisé.
  8. Que toutes les classes soient équipées de boucles magnétiques et autres aides techniques existantes.
  9. Que nous soyons associés dans les étapes de cadrage du déploiement de ce futur PEJS.


Nous aimons à croire que vous entendrez nos revendications et saurez faire évoluer les mentalités en ouvrant les regards sur la surdité et sa culture. Nous espérons vivement que l’académie rouennaise rejoigne les académies pionnières telles que Lyon, Poitiers ou Toulouse qui sont les seules dans toute la France à proposer un parcours bilingue LSF / français de la maternelle au lycée. Nous avons pu faire le constat que dans les trois académies en question le parcours scolaire des enfants sourds est couronné de succès avec notamment un taux de réussite au baccalauréat proche de la moyenne nationale.

Nous souhaitons que nos enfants puissent bénéficier de ce même couronnement au sein de notre académie. Pour cela il faut qu’ils puissent profiter d’un parcours adapté et cohérent tout au long de leur scolarité, chose à laquelle ils n’ont pas accès à l’heure actuelle dans la région rouennaise. Que l’académie de Rouen devienne la première académie à proposer un vrai choix entre filière en LSF et filière en français oral avec LfPC.

Nous vous remercions de l’intérêt que vous porterez à nos revendications, et vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de nos sentiments les meilleurs.


APEDAHN - Association de Parents d’Enfants Déficients Auditifs de Haute Normandie
43, quai du Havre - 76000 Rouen